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Les Echos du Sud-Ouest

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Amélie Hien :Première Africaine à recevoir le prix de la francophonie de l’Association canadienne-française de l’Ontario du grand Sudbury


Amélie Hien est professeure émérite de l’Université Laurentienne et, depuis mars 2022, elle est la directrice de l’École internationale de français de l’Université du Québec à Trois-Rivières au Canada. Installée dans ce pays depuis 1995, la native de Gaoua écrit son nom en lettres d’or dans cette partie du monde. Son abnégation au travail et pour sa communauté lui vaut des lauriers dont le dernier en date est le titre de la personnalité franco-ontarienne de l’année 2022. Elle est non seulement la 40e personnalité, mais surtout la première Africaine et la première personne immigrante à recevoir le prix de la francophonie de l’Association canadienne-française de l’Ontario du grand Sudbury (ACFO du grand Sudbury). À l’occasion de l’hommage rendu aux femmes battantes, Bafujiinfos est allé à sa rencontre.

Bafujiinfos : Qui est Amélie Hien?

Amélie Hien : Je suis une ressortissante du Sud-Ouest du Burkina Faso, plus spécifiquement de la région lobi. Je suis la 3e fille du regretté Guy Naba Hien et de Kerbou Lise Kambou. Mon prénom lobi, selon le sexe et l’ordre de naissance, est donc Ini, même si cela n’apparait pas sur mon extrait de naissance.

Mon grand-père maternel, Dapounè Kambou, ancien combattant (2e guerre mondiale) est de Gaoua. Je n’ai malheureusement pas eu la chance de connaitre les parents biologiques de mon père, Djourèmiko Hien et Konatchirèna Kambou, qui sont décédés alors que mon père n’était encore qu’un enfant. Dans le parcours migratoire des parents biologiques de mon père, on peut situer Iolonioro, Dimolo et Bouroum-Bouroum. C’est d’ailleurs dans ce dernier village que se trouve la tombe de mon grand-père (Djourèmiko Hien).

Le père adoptif de mon papa, le grand-père paternel que j’ai connu, est le pasteur Job Hien. C’est de lui que je tiens mon patronyme Hien, car les autres frères et sœurs de mon père sont Kambou (comme leur mère, ainsi que le voulait, autrefois, la coutume chez les Lobi). Mon grand-père, Job Hien, est de Bouroum-Bourom, mais il a ensuite migré à Gaoua où il passera le reste de sa vie. Voilà, je suis donc une fière Lobi, née à Gaoua, et qui se souvient encore des vacances qu’elle y passait avec ses grands-parents maternels et paternels. Pour ce qui est de mes origines, je me réclame à la fois de Gaoua, de Bouroum-Bouroum, de Dimolo et de Iolonioro. C’est une partie de ma richesse…

Actuellement, je suis la directrice de l’École internationale de français de l’Université du Québec à Trois-Rivières au Canada.

Bafujiinfos : Vous êtes la personnalité franco-ontarienne de l’année 2022, parlez-nous de ce prix

Amélie Hien : Ce prix qui était avant le prix de la Personnalité franco-ontarienne de l’année est maintenant dénommé le prix de la francophonie de l’ACFO du grand Sudbury. Cette distinction est décernée annuellement, comme l’indique le site internet de cet organisme, à une personne qui a fait montre d’une grande initiative, une personne qui s’est particulièrement distinguée pour la qualité́ de son travail, sa capacité ainsi que son dévouement à développer et à contribuer à l’épanouissement de la communauté franco-ontarienne du Grand Sudbury ou de la francophonie en général.

Bafujiinfos : Que ressentez-vous après avoir reçu une telle distinction surtout lorsque vous êtes, depuis sa création en 1983, la première personne noire et la première personne issue de l’immigration (toutes origines confondues) à recevoir ce prix ?

Amélie Hien : Lorsqu’un prix aussi prestigieux que celui de la francophonie de l’ACFO du grand Sudbury est venu souligner mes contributions communautaires, j’en ai été vraiment touchée. Oui, j’ai été très touchée de savoir que ces contributions ont été jugées dignes d’être soulignées. C’est une reconnaissance inestimable et je me sens sincèrement honorée d’être la Lauréate de ce prix pour l’année 2022.

Bafujiinfos : Pouvez-vous nous donner une idée de vos contributions dans la communauté francophone du Grand Sudbury et ce qui vous motivait dans ces activités?

Amélie Hien : J’ai passé 17 ans à Sudbury. Mon engagement communautaire s’est donc matérialisé à travers le temps et à travers diverses activités et différents comités. Toutefois, je ne participais pas à ces activités ou à ces comités en pensant à une quelconque reconnaissance ou à une quelconque récompense que je pourrais en tirer. Je le faisais, tout naturellement, car ma participation à la vie de ma communauté est une chose importante pour moi…. Mes parents m’ont en effet inculqué le sens du devoir, de l’entraide et de la contribution à la collectivité. Je m’investissais donc sur le plan communautaire, et je continue de le faire, parce que c’était important pour moi d’apporter ma contribution à l’édification d’une communauté diversifiée, inclusive et dynamique.

Pour vous donner une idée de mes contributions communautaires, je peux vous nommer quelques-uns des comités auxquels j’ai participé :

  • le Conseil scolaire pour la région de Sudbury (zone 4) (2022),
  • la Coalition nord-ontarienne pour une université de langue française (2021à 2022),
  • le Comité triculturel pour l’éducation universitaire à Sudbury. (2021à 2022),
  • le Conseil consultatif de la Communauté francophone accueillante de Sudbury (2019 à 2022),
  • le Conseil d’administration du Centre de santé communautaire du Grand Sudbury (2014 à 2020),
  • le Comité encadreur du Réseau du Nord pour le soutien à l’immigration francophone (2013 à 2022),
  • le Comité consultatif francophone de l’hôpital Horizon Santé Nord (2015 à 2017),
  • le Conseil d’administration du Contact interculturel francophone de Sudbury (2011 à 2013),
  • le rôle de vice-présidente de l’Association culturelle et professionnelle africaine de Sudbury (2008 à 2014),
  • le rôle de rédactrice en chef des Échos de l’ACPAS, journal de l’Association culturelle et professionnelle africaine de Sudbury (2008 à 2012),
  • Le Conseil de l’École publique Jeanne-Sauvé de Sudbury (2007 à 2008),
  • l’Association des scouts du district de Sudbury (2006 à 2008),
  • bénévolat auprès de la ville du Grand Sudbury (2006 à 2007), etc.

Bafujiinfos : Parlez-nous de votre parcours scolaire et professionnel

Amélie Hien : J’ai fait la maternelle (dans une structure qui s’appelait à l’époque le jardin d’enfants Denbagnouma) ainsi que le CP1 à Bobo-Dioulasso. Ensuite, lorsque mon père a été affecté en tant que 1er directeur du GEG de Gaoua, la famille s’est installée à Gaoua où j’ai fait du CP2 au CM1. Le maitre que j’avais au CM1, le regretté Coulibaly Ngolo Jacques, avait estimé à l’époque que mon niveau me permettait de passer le CEPE au CM1. Il m’a présentée comme candidate libre et j’ai en effet réussi à cet examen au CM1.

Après, lorsque mon père a été affecté comme surveillant général du Lycée Ouezzin Coulibaly à Bobo-Dioulasso, la famille s’est installée à nouveau à Bobo-Dioulasso. C’est dans ce lycée que j’ai fait tout mon secondaire, de la 6e à la terminale. Après le Bac en 1989, je suis allée à l’Université de Ouagadougou où j’ai étudié dans le département de linguistique jusqu’à l’obtention de mon diplôme d’études approfondies (DEA). Pendant que je faisais mon DEA, j’ai effectué un stage à l’Observateur Paalga où j’ai, entre autres tâches, animé la chronique hebdomadaire Féminin pluriel, à la suite de Mme Monique Ilboudo. Ce fut une très belle expérience !

Par la suite, j’ai obtenu une bourse d’excellence du Programme canadien des bourses de la francophonie qui m’a permis de faire mon doctorat à l’Université de Montréal au Canada. Après l’obtention de mon doctorat, j’ai eu l’occasion d’aller travailler au Bénin pour le compte de l’Entraide universitaire mondiale du Canada. Ce fut un contrat de deux ans, de 2002 à 2004, au sein de la direction nationale de l’alphabétisation et de l’éducation des adultes à Cotonou. Là, j’étais assistante technique, entre autres, chargée de la promotion de l’environnement lettré. À la fin de ce contrat, je suis revenue au Canada où j’ai enseigné dans une école de langue. Je donnais des cours de français langue seconde aux fonctionnaires du gouvernement fédéral canadien.

En 2005, j’ai obtenu un poste à l’Université Laurentienne dans la ville de Sudbury, en Ontario, où j’ai enseigné la linguistique et le français entre 2005 et 2021. C’est là-bas que je passerai successivement de professeure adjointe, à professeure agrégée pour devenir, en 2019, professeure titulaire en langue et linguistique. J’y ai aussi été la directrice du Département d’études françaises, de 2019 à 2021, à l’époque où cette université avait encore un Département d’études françaises. Je suis devenue, en mai 2021, professeure émérite de l’Université Laurentienne. Depuis le mois de mars 2022, j’ai rejoint l’Université du Québec à Trois-Rivières au Canada comme directrice de l’École internationale de français.

Bafujiinfos : Comme professeure d’université, vous avez dû faire de la recherche. Quels sont vos intérêts de recherche ?

Amélie Hien : Mes recherches portent, entre autres, sur les anthroponymes individuels chez les Lobi, la description de la langue française et du julakan, les régionalismes et les locutions en français, l’influence de la langue et de la culture sur l’accessibilité et la qualité des services de santé pour les francophones (et en particulier pour les immigrants francophones) en situation linguistique minoritaire, l’immigration francophone en Ontario, la communication dans le domaine de la santé en contexte multiculturel et multilingue, la littératie en santé, les politiques linguistiques, la terminologie des domaines de spécialité, le lien entre langues, éducation et développement.

Bafujiinfos : Peut-être un mot sur votre rôle comme directrice de l’École internationale de français (EIF) de l’Université du Québec à Trois-Rivières au Canada ?

Amélie Hien : À ce titre, j’ai la responsabilité du fonctionnement de l’École, de la vie étudiante à l’École, de l’organisation et de la promotion de ses activités, ainsi que de la gestion des ressources humaines, matérielles et financières relevant de l’École.

L’EIF offre, depuis 1974, divers programmes intensifs et d’immersion en français (langue seconde et langue étrangère) à des étudiants, d’âges et de profils variés, venant d’horizons divers. Elle donne ainsi, chaque année, l’occasion à des centaines de personnes provenant de pays différents à travers le monde d’apprendre le français ou de se perfectionner dans cette langue, tout en découvrant la culture québécoise dans un milieu accueillant et respectueux de toutes les diversités et de toutes les cultures, et cela, dans une ville typiquement francophone, celle de Trois-Rivières.

Bafujiinfos : C’est votre prix de la francophonie de l’ACFO du grand Sudbury au Canada qui nous a permis de prendre contact avec vous. Avez-vous déjà reçu d’autres reconnaissances de ce type ?

Amélie Hien : Oui, j’avais déjà reçu quelques distinctions honorifiques, universitaires, nationales et communautaires.

Par exemple, en 2020, le Burkina Faso m’a honorée comme Chevalier de l’Ordre du Mérite de l’Administration et du Travail avec Agrafe Diplomatie.

Au niveau universitaire, j’ai reçu des certificats de mérite en enseignement (notamment en 2011et en 2013), et comme je l’ai mentionné ci-dessus, en mai 2021, je suis devenue professeure émérite de l’Université Laurentienne.

Au niveau communautaire, j’ai été classée parmi les « 25 Étoiles du Nord » en Ontario français en 2020. De plus, en 2019, une distinction provinciale me nommait parmi les 25 personnalités noires franco-ontariennes. En 2014 et en 2019, j’ai également obtenu des distinctions provinciales de l’Ontario pour services de bénévolat.

Bafujiinfos : Quels sont vos liens avec le Burkina et en particulier votre région?

Amélie Hien : Le Burkina Faso, c’est mon pays et j’y reste très attachée. J’y retourne approximativement une fois par an pour passer du temps avec ma famille. J’ai quelques projets que j’ai dû mettre sur pause, faute de temps, mais j’espère pouvoir les relancer en temps opportuns. Il y a également un projet en réflexion et en collaboration avec mon parent Maxim Sib sur le lobiri. Je ne peux pas en dire plus pour le moment, car rien n’est encore officiel, mais j’espère que ce projet verra le jour et qu’il saura bénéficier de l’appui et de l’accompagnement de toutes les filles et de tous les fils de la région ainsi que de l’appui des autorités et de toutes les bonnes volontés du pays. Je ne manquerai pas de vous en toucher un mot, si le projet se réalisait. Il est très important de promouvoir nos cultures et nos langues qui en sont les véhicules. Il est aussi crucial de promouvoir nos langues et leur usage, si nous voulons nous assurer que les informations importantes parviennent à l’ensemble des fils et des filles du Burkina.

Bafujiinfos : Quel serait votre mot de la fin pour les fils et filles du Burkina Faso ou votre vœu pour le Burkina?

Amélie Hien : Mon souhait : la tolérance, le respect de son prochain ainsi que le respect de la vie et de la dignité humaine. Comme je le disais dans un message récent, je nous exhorte à considérer la diversité comme une richesse et non comme une barrière qui nous empêche de travailler et de vivre ensemble main dans la main. C’est ensemble que nous pourrons bâtir des communautés, des régions et un pays paisible, sécuritaire et dans lequel nous pourrons vivre en harmonie.

Je salue la mémoire de chaque FDS et de chaque VDP tombé les armes à la main ainsi que la mémoire de toutes les innocentes victimes du terrorisme qui endeuille notre patrie depuis trop longtemps maintenant.  Au regard de l’étendue de la dévastation que cause ce terrorisme, cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais mon vœu le plus cher est que, progressivement, notre cher Faso retrouve la paix ainsi que la cohésion et qu’il puisse assurer la sécurité à ses filles et à ses fils sur toute l’étendue du territoire national. Le gouvernement actuel montre une détermination à venir à bout des terroristes, détermination que je salue très sincèrement. J’espère que la sécurité demeurera sa priorité.

Dalou Mathieu DA



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