Administrateur des services touristiques , Serge Palenfo a occupé le poste de directeur général de l’office national du tourisme(ONTB) puis conseiller technique du ministre de la culture. Auteur du point de vue ci-dessous Serge Palenfo s’interroge sur l’impact de la communication autour des attaques terroristes sur le tourisme. Pour lui, notre pays va beaucoup gagner surtout dans le domaine du tourisme, « Si nous faisons attention aux mots et expressions que nous utilisons». Lisez plutôt !
Le concept de l’insécurité, pour une destination touristique, a évolué de fait depuis le 11 septembre 2001. Il y a insécurité dans un pays quand il y a guerre, c’est à dire quand des belligérants s’affrontent ouvertement comme c’est le cas en Syrie, au Yémen, etc. Dans ces cas de figure, des positions sont tenues et défendues par les protagonistes avec des moyens et des méthodes plus ou moins conventionnels. Des règles sont observées et les parties sont tenues de respecter les conventions établies à cet effet.
Mais quid des situations où un camp se dissimule et développe des techniques propres à lui pour atteindre ses objectifs qui ne sont pas toujours ceux de triompher de son ennemi mais juste de créer une psychose en causant d’énormes dégâts humains et matériels ? Qu’en est-il du « loup solitaire » qui prend l’initiative de commettre un acte répréhensible au nom d’un groupe qui le revendique ensuite ? Cette idéologie qui voudrait que l’on rejette tout par la violence, que tout désaccord soit exprimé par toute forme de violence possible, peut-elle être cernée dans son essence ? Sans nul doute, seul le désespoir d’une cause perdue peut en être la raison.
La généralisation du phénomène à travers la planète a bouleversé des pratiques sociétales et cela interpelle. Des rapports entre nations jadis complices ont fondamentalement changé. Des relations de bon voisinage entre des personnes de confessions religieuses différentes, on est arrivé à une situation de suspicion mutuelle rendant parfois tout dialogue impossible et favorisant une méfiance. Cet état de fait est le veux secret des pourfendeurs de cette conception morbide de l’humanité. Mais que nul ne se trompe. L’Être humain est une créature accomplie.
Aujourd’hui, une attaque djihadiste ne peut être considérée comme de l’insécurité ou encore moins créer un état de guerre puisqu’elle se produit de façon spontanée, crée la psychose momentanément et la vie reprend son cours en attendant sa quasi certaine future autre manifestation. C’est une nouvelle approche du concept de l’insécurité que nous devront comprendre et adopter chez nous aussi si nous voulons parler le même langage que l’Occident.
Que l’on se souvienne de l’attaque de Charlie Hebdo en France qui a été utilisée par les plus hautes autorités de ce pays pour nous faire accepter de façon subtile leur double approche du concept de l’insécurité. Le monde entier était Charlie et nous avons tous versé des larmes puisque nos dirigeants se sont rendus à Paris pour le faire au nom de leurs peuples que nous sommes. Les unes des grands journaux du monde ont été prises d’assaut. L’émotion fut très grande. Cependant, les jours qui ont suivi ont vu une des vagues déferlantes de touristes sur la France entière. Leurs arrivées touristiques n’en ont pas souffert.
Au tour du tiers monde, des damnés de la terre, personne n’était Aziz ou Splendide. Comme d’habitude, ces événements ont été noyés dans le flot des malheurs quotidiens et multiséculaires que le continent porte dans son gène car nous serions « les descendants de Caen ». Une malédiction nous aurait suivis depuis la nuit des temps. Jusqu’à la fin du XXe siècle, l’occident a conçu et véhiculé des images de l’Afrique, tantôt à but philanthropique, tantôt à dessein.
À cause de ces attaques terroristes, notre destination est dans le rouge, fortement déconseillée car la mort y défie l’air dans l’occupation de l’espace. Pendant ce temps, en Occident où les touristes sont exposés quotidiennement à toutes ces attaques dans des formes aussi barbares les unes que les autres (bombes, camions, couteaux), leurs destinations nous tiennent la dragée haute car personne ne les met en rouge ou ne les déconseille à ses ressortissants puisque ce sont eux les concepteurs des couleurs et des renseignements. Curieusement, malgré les hordes de pick Pocket qui écument Paris, et dont ils sont les premières victimes, les touristes chinois optent pour première destination la France et sa Tour Eiffel.
C’est nous les dits pauvres qui sommes coupables, coupables devant le tribunal de l’histoire et condamnés en appel par la géographie. Mais nous devons savoir que tout est politique. Même la pauvreté dans ses différents concepts n’y échappe pas. C’est à nos politiques de se fondre dans les masses afin que nous menions le même combat. Personne ne saura nous valoriser mieux que nous-mêmes. Ne jouons pas le jeu du néocolonialisme qui, longtemps nous a fait croire que nous n’étions prêts pour rien et que nous avions besoin d’assistance dans tous les domaines, même dans la réflexion. Des institutions internationales respectables ont prétendu nous concevoir des modèles de développement clés en main. Plus d’un demi-siècle après les indépendances des États africains, nous attendons toujours les résultats. Partout sur le continent on en appelle au sursaut panafricaniste, à la renaissance noire, etc. Des associations de la renaissance comme BRAND AFRICA, qui se veulent panafricanistes, s’insurgent contre le lynchage médiatique dont le continent africain a toujours été victime et voudraient que nous apprenions à montrer aussi ce que notre Afrique a de merveilleux pour contrer les médias occidentaux et changer la perception qu’ils donnent de nous à leurs populations.
Si les attaques djihadistes et les zones de conflits vont constituer un désavantage pour nos économies du tourisme, alors faisons preuve d’imagination afin de développer un tourisme de guerre et nous verrons que les adeptes de la violence, Dieu seul sait combien ils sont nombreux en occident, prendront d’assaut nos ambassades pour demander des visas. Qu’on se rappelle la seconde guerre d’Irak. Les occidentaux l’ont suivie pratiquement en direct sur leurs chaines de télévisions qui n’avaient pas lésiné sur les moyens pour envoyer des journalistes avec pour consignes premières de couvrir les scènes dites « croustillantes » de cette entreprise funeste qui n’avait d’égal que l’appétit cosmique de ses concepteurs.
Nos politiques doivent changer de logiciel de communication. Les attaques djihadistes ne peuvent en aucun cas constituer de l’insécurité pour le touriste car, même dans son pays, celui-ci peut en être victime. Il suffit qu’il se retrouve au mauvais endroit au mauvais moment. Même en Occident où ces attaques spectaculaires sont très fréquentes, ils ont compris qu’il ne faut pas changer de mode de vie mais intégrer la nouvelle donne sécuritaire dans leurs habitudes quotidiennes. Ce sont des incidents de voyage comme tout autre.
Nous avons péché trop longtemps en déclarant à des niveaux élevés de l’appareil d’État que nous sommes en guerre. La guerre, ce ne sont pas les attaques terroristes et les attaques terroristes non plus ne sont pas la guerre. Si nous sommes en guerre, les combats se déroulent où ? À Ouagadougou, à Samorogban, ou à Déou ? Si nous sommes en guerre, la ligne de front est à New York, Londres ou Paris ! Sans être journaliste, nous savons que pour une même affaire de meurtre dans un quartier appelé Bilibambili, on peut avoir deux unes de journaux en fonction des intentions ou du niveau des journalistes : Meurtre à Bilibambili et Criminalité à Bilibambili. Pour ces deux unes la portée n’est pas la même quoique ce soit le même fait divers. La communication en temps de crise est très délicate et nous devons être assez précautionneux car déjà les guerres, les maladies et les famines sont considérés comme notre quotidien.
Il serait préférable qu’un ministre de la république nous rassure en nous promettant que les terroristes seront terrorisés que de nous effrayer en nous appelant à un « effort de guerre ». Le Burkina Faso n’est pas en guerre. Nous faisons face, à l’instar des autres pays du monde, à l’extrémisme violent. Nous manquons de cohérence dans nos actions visant à promouvoir notre destination car, pendant que nous faisons diffuser des spots télé présentant le Burkina Faso comme une terre d’accueil à découvrir à tout prix, des responsables de la république ne manquent pas l’occasion d’évoquer une guerre asymétrique imposée à notre pays. Pourtant, nos soldats vont partout sur le territoire national sans rencontrer des positions tenues par des ennemis. Les actes d’extrémisme violent que nous connaissons ne peuvent être qualifiés de guerre ou alors c’est toute l’humanité qui est en guerre.
La communication telle que faite jusqu’à présent, si elle permet d’acquérir des armes et de la logistique de guerre, elle plombe cependant les efforts de promotion de la destination Burkina Faso. Les canaux diplomatiques seraient mieux indiqués pour demander ce type d’aide car le monde entier est suffisamment sensibilisé sur la question. La sécurité est la condition sine qua non pour tout développement d’où le risque de compromettre les efforts de promotion de la destination en cas d’erreurs de communication à un haut niveau de l’appareil d’État.
Déjà, avant le 15 janvier 2016, le tourisme récepteur du Burkina Faso avait décliné du fait de plusieurs événements (crise militaire, ébola, etc), imposant l’urgence de développer le tourisme interne. Mais cette option commande d’abord une prise de conscience générale au plan national. Si le Président du Faso était à l’ouverture de la première édition de la Vitrine Internationale du Tourisme, de l’Hôtellerie et de la Restauration de Ouagadougou (VITHRO), chose inédite, nous attendons de voir l’exécutif et le législatif, soit tous entiers à Loropéni, à Sindou, à Arly et à Oursi, soit individuellement en famille. Un double effet se produirait à cet effet car non seulement les acteurs engrangeraient des recettes mais ces illustres visiteurs pourraient attirer les médias sur nos sites qui ont tant besoin d’être médiatisés afin d’être vus et visités par les burkinabè. C’est à ce prix que nos hôteliers et l’ensemble des acteurs de la chaîne survivront à cette conjoncture que nous avons accentuée et entretenue par nos déclarations.
La présidence du Faso a ainsi envoyé un signal de vouloir développer une économie de services. Mais cela commande une cohérence entre les déclarations et les actions à tous les niveaux de l’appareil d’État. Pour des raisons d’économies budgétaires, on peut d’une part tenir toutes les activités de l’Administration à Ouagadougou et d’autre part « achever » l’activité hôtelière déjà mal en point. L’âne et la charrette ne doivent pas être confondus afin de nous éviter des contradictions internes qui nous font avancer à reculons.
Le développement de l’industrie du tourisme que nous appelons de tous nos vœux est encore embryonnaire dans notre pays. Il ne servira à rien d’aménager des sites à coût de milliards ou d’inciter des promoteurs à mettre en place des infrastructures touristiques modernes, si nous ne communiquons pas de la meilleure des manières. D’énormes défis restent à relever afin d’asseoir les bases de l’économie de services à laquelle l’avenir du pays est manifestement condamné. Comme hier, la communication est la base de tout développement aujourd’hui et il faut savoir communiquer. Si nous faisons allusion à notre engagement au nord Mali pour affirmer que nous sommes en guerre c’est compréhensible. Sinon, faisons attention aux mots et expressions que nous utilisons.
Fodé Serge PALENFO
Administrateur des Services Touristiques
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