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Les Echos du Sud-Ouest

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Les dix albums qui ont marqué l’histoire du rap africain


Il y a vingt ans paraissait le premier album de rap d’Afrique francophone : « Salaam », de Positive Black Soul (Sénégal). L’occasion d’une plongée old school dans l’histoire du hip-hop made in Africa.

En 2007, dans Fangafrika, un coffret (film, livre et CD) consacré au « rap made in West Africa », Olivier Cachin, journaliste spécialiste du hip-hop hexagonal, écrivait : “Le rap africain a longtemps été une utopie grandissant dans l’ombre du rap français, tout comme le rap français le fut à ses débuts face au géant américain. Et puis il y eut Positive Black Soul, pionnier d’une expression hip-hop profondément africaine. »

Alors qu’on fête cette année les 20 ans de Salaam (1995), le premier album du groupe sénégalais, Jeune Afrique a sélectionné dix opus qui ont marqué l’histoire du rap « cain-fri », d’Abidjan à Sfax en passant par Le Cap, Alger et Yaoundé. L’exercice de la sélection est forcément subjectif, notamment en matière de musique, puisque les goûts diffèrent d’un auditeur à l’autre. Cependant, au-delà du côté artistique, nous avons choisi des critères plus objectifs comme l’aspect pionnier des albums retenus, leur succès en termes de ventes, leur reconnaissance internationale, leur impact sur la société et leur résonance avec le contexte politique. Chaque groupe présenté est accompagné d’un morceau tiré de l’album en question, le plus souvent sous forme de vidéoclip – sauf quand il n’en existe pas. Bonne écoute !

1. Côte d’Ivoire, 1983 → Abidjan City Breakers → « ACB Rap »

Le hip-hop a débarqué en Afrique via la danse. Dans les années 1980, des collectifs apparaissent dans les grandes villes, qui reproduisent les gestes américains. Ils se nomment Dakar City Breakers, Cape Town City Breakers, Bamako City Breakers… Mais c’est aux Abidjan City Breakers, réunis sur la télévision nationale ivoirienne, la RTI, autour d’Yves Zogbo Junior (devenu depuis une star du petit écran en Côte d’Ivoire), qu’on doit l’un des tout premiers enregistrements de rap du continent : un maxi intitulé « ACB Rap », sorti en 1983. Par la suite, ce style de musique ne prospérera pas autant que dans d’autres pays africains : difficile de s’épanouir sur une terre d’Éburnie où le zouglou et le coupé-décalé règnent sans partage.

2. Afrique du Sud, 1993 → Prophets of da City → « Age of Truth »

Le premier véritable album de rap africain nous vient du Cap. Il s’agit d’Our World, enregistré en 1990 par les Prophets of da City. Mais le groupe, formé dès 1988 autour de Shaheen Ariefdien (au micro) et Ready D (aux platines), livre son opus le plus abouti en 1993 avec Age of Truth, en grande partie censuré. Car les lyrics des « prophètes », en ces temps de transition post-apartheid, sont de mauvais augure : « Pourquoi devrais-je me battre pour la gloire d’un pays qui m’ignore ? D’ailleurs, les townships sont déjà une zone de guerre, à quoi bon se plaindre ou gémir ? » Vingt ans plus tard, le hip-hop sud-africain est plus dynamique et diversifié que jamais, avec des noms mondialement connus comme Tumi Molekane et Die Antwoord.

3. Sénégal, 1995 → Positive Black Soul → « Salaam »

C’est à Dakar, en 1992, qu’est jetée la première pierre sur laquelle le rap d’Afrique francophone pourra véritablement bâtir son empire. Il s’agit du morceau « Bul Falé » (« laisse tomber », en wolof), de Positive Black Soul (PBS), un duo formé de Didier Awadi et Duggy Tee. La jeunesse sénégalaise s’empare du titre comme d’un étendard, si bien que l’on retrouvera cet “hymne” sur le premier album de PBS, Salaam, en 1995. Le groupe acquiert très vite une renommée hors de ses frontières, notamment en assurant la première partie de la tournée de MC Solaar en France, dès 1992. Plus tard, les deux Sénégalais collaboreront avec d’autres pointures du hip-hop mondial, tels l’Américain KRS-One et le DJ français Cut Killer. Le rap « galsen » était bien, très bien parti…

4. Algérie, 1999 → MBS → « Le micro brise le silence »

Au Maghreb, c’est du côté d’Alger que les premiers frémissements hip-hop se font sentir, avec notamment les groupes MBS et Intik. Alors que la décennie noire touche à sa fin, ceux-ci ne tardent pas à exporter leur musique par-delà la Méditerranée : en 1998, MBS participe au concert « L’Algérie à Paris » aux côtés de Cheb Khaled et Cheb Mami, tandis qu’Intik est invité par Imhotep, du groupe IAM, au festival « Logique hip-hop » de Marseille. Mieux : en 1999, MBS signe son troisième album, Le micro brise le silence, chez Universal (suivi un an plus tard par Intik chez Sony). Un opus aux instrus orientaux particulièrement soignés, dans lequel les cinq membres du groupe dénoncent la corruption, le piston, le service militaire… Attention, album culte.

5. Nigeria, 2000 → Trybesmen → « LAG Style »

Pour la presse de Lagos, c’est « l’un des pionniers du hip-hop au Nigeria ». Pour la BBC, c’est un groupe « légendaire ». Certains sont même allés jusqu’à les surnommer – peut-être un peu vite – « les Run DMC d’Afrique ». Ce qui est sûr, c’est que comme le célèbre groupe new-yorkais, les Trybesmen sont trois : Eldee, Kaboom et Freestyle, qui commencent à rapper ensemble en 1994, à Lagos. Mais il faudra attendre l’an 2000 pour que voie le jour leur premier et dernier album, LAG Style, avant que le groupe ne se sépare. Depuis, le Nigeria a vu l’émergence d’artistes estampillés « hip-hop » au succès planétaire, comme P-Square ou D’banj, mais dont l’œuvre est plus proche du R’n’B américain que du « naija rap » mâtiné de rythmes africains des Trybesmen.

6. Mali, 2001 → Tata Pound → « Ni Allah Sonama »

Le groupe phare du hip-hop malien cultive une fibre résolument engagée. Né en 1995 de la rencontre de Djo Djama, Ramsès et Dixon, Tata Pound sort son premier album, Rien ne va plus, en 2000, puis Ni Allah Sonama l’année suivante. Vendu à plus de 20 000 exemplaires, celui-ci comporte l’un des titres majeurs du trio, « Mon pays SA », qui annonce la couleur : Tata Pound y fustige les privatisations imposées par les ajustements structurels. La suite poursuivra dans cette veine : en 2002, le morceau « Cikan », sur l’album du même nom, est un « message » au président de la République (Amadou Toumani Touré vient d’être élu) et, en 2006, l’album Révolution, qui dénonce notamment la vente illicite de terrains, tombe sous le coup de la censure.

7. Burkina, 2004 → Smockey → « Zamana »

Le rap burkinabè, l’un des plus dynamiques d’Afrique avec notamment le festival « Waga Hip-Hop », doit beaucoup à Smockey. Après des études en France, celui-ci rentre au pays en 2001 et y fonde le studio Abazon, par lequel passeront de nombreux MC’s ouagalais. La même année, il sort l’album Épitaphe, suivi en 2004 de Zamana où il aborde, sur un ton grinçant, l’immigration, le sous-développement, la sexualité… Mais son action ne se limite pas à la musique. En 2013, prenant exemple sur le mouvement « Y’en a marre » initié par des rappeurs au Sénégal, Smockey lance, avec le reggaeman Sams’k Le Jah, le « Balai citoyen », qui sera en première ligne de la contestation populaire ayant abouti à la démission du président Blaise Compaoré, fin 2014.

8. Maroc, 2005 → H-Kayne → « HK 14216 »

Dans le royaume chérifien, le rap explose au début des années 2000, dans la foulée de l’ouverture démocratique favorisée par l’avènement de Mohammed VI, en 1999. Parmi les groupes qui s’imposent, H-Kayne. Premier concert en 1997 à Meknès. Première récompense au festival « L’Boulevard », à Casablanca, en 2003. Premier album, 1 Son 2 Bled’Art, autoproduit en 2004, avant de signer le second, HK 14216, chez Platinium Music, une maison de disques liée à Universal. Dans le tube Issawa Style, Sif L’San, HB2, Ter-Hoor, Otmane et DJ Khalid clament alors leur « rap vert et rouge ». Portant haut les couleurs du Maroc, ceux que le roi décorera d’un wissam alaouite en 2013 se sont tenus à distance, au moment du Printemps arabe, du Mouvement du 20-Février.

9. Cameroun, 2009 → Négrissim’ → « La Vallée des rois »

Cela aurait pu être l’histoire d’un rendez-vous manqué. En 2000, alors que Negrissim’ vient de cartonner avec son premier opus, Appelle ta grand-mère, le groupe pionnier du rap « kamer » décide de prendre la route : direction le Sénégal, via le Nigeria, le Niger, le Burkina Faso et le Mali. Deux ans et pas mal de concerts plus tard, les voici à Dakar, où ils enregistrent un album… qui ne verra jamais le jour – la faute à un producteur véreux. Mais Sadrak, Sundjah et Evindi y font, entre autres rencontres, celle du Français DJ Max, qui rejoint en 2005 leur « école du micro en bambou ». Résultat : l’album La Vallée des rois, sorti en 2009. Ou quand le « hip-hop de la brousse » (une fusion de sons urbains et d’Afrique centrale) brise les frontières…

10. Tunisie, 2010 → El Général → « Raïs Lebled »

Terminons cette sélection comme nous l’avons commencée, non pas avec un album entier, mais avec un morceau historique : « Raïs Lebled », du Tunisien Hamada Ben Amor, alias El Général. Fin 2010, le jeune rappeur de Sfax, jusqu’alors inconnu du grand public, poste le clip sur Facebook. Il y interpelle le « chef du pays », Zine el-Abidine Ben Ali, sur les inégalités, la corruption, les violences policières… Dans une Tunisie en ébullition, le titre se répand comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux et vaudra à son auteur une brève arrestation, en janvier 2011, au plus fort de la contestation. Quelques jours plus tard, le raïs fuit le pays. Pour le magazine américain Time, « Raïs Lebled” est « l’hymne de la révolution du jasmin ».

Jeune Afrique




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