Enfants en situation de rue  à Gaoua: la faim et l’errance dévorent l’enfance

Ils tendent la main, murmurent quelques mots, ou restent debout de longues minutes à côté des tables, les yeux rivés sur les assiettes. À Gaoua, comme dans plusieurs villes du Burkina Faso, des enfants en situation de rue errent de restaurant en restaurant, quémandant un peu de nourriture ou simplement d’attention. Un drame silencieux qui interpelle la conscience collective.

Il est 13 h dans un restaurant populaire du centre-ville de Gaoua. Les serveuses s’activent, les clients mangent, rient, passent des commandes. Puis un garçon d’à peine 10 ans s’approche timidement d’une table. Il ne dit rien. Il observe les restes. Quand la cliente se lève, il bondit sur l’assiette pour terminer le riz à la sauce tomate abandonné.

Ces scènes se répètent quotidiennement dans presque tous les lieux de restauration de la ville. Seuls, sales, épuisés, des enfants errent sans relâche dans les restaurants, maquis et buvettes, parfois dès 7 h du matin jusqu’à la fermeture, dans l’espoir d’un reste de riz ou d’un morceau de pain.

Des vies invisibles, des histoires multiples

La plupart de ces enfants ne dorment pas dans une maison. Certains viennent de quartiers périphériques défavorisés, d’autres ont fui des violences familiales, d’autres encore sont envoyés mendier par des adultes. Tous partagent la même faim, le même vide affectif.

« Je mange quand quelqu’un me donne. Sinon, je dors avec la faim », confie KM (nom d’emprunt), 9 ans, croisé près d’un restaurant de Gaoua. Déscolarisé depuis deux ans, il vit avec sa mère veuve, incapable de subvenir à ses besoins. Ses journées se résument à traîner entre restaurants et gares routières.

Une vie sans dignité, sous les regards fuyants

Les clients les regardent parfois avec gêne, souvent avec agacement. « Ils dérangent les clients », admet une gérante de buvette, avant de nuancer : « Mais on ne peut pas les chasser tout le temps. Certains dorment même sur la terrasse. »

Ces enfants ne mendient pas par choix. Ils réclament un droit fondamental : celui de manger à leur faim. Selon la direction provinciale de l’Action humanitaire du Poni, les causes de cette errance sont multiples : pauvreté, éclatement familial, violences domestiques, abus sexuels, troubles politiques, instabilité sociale. « Les enfants de la rue sont souvent victimes d’un bouleversement domestique, économique ou social », explique Roland Ouattara, directeur provincial de l’Action humanitaire et de la Solidarité du Poni.

Des efforts de l’État, mais un défi persistant

Pour endiguer le phénomène, le ministère de l’Action humanitaire a lancé en 2018 une opération de retrait des enfants de la rue dans plusieurs grandes villes, dont Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Cette initiative se poursuit, adaptée aux réalités locales.

Dans le Poni, environ 1 000 enfants ont été recensés en 2019. Depuis, des actions de sensibilisation auprès des maîtres coraniques et des communautés sont menées. « Nous identifions les enfants pour des prises en charge alimentaire, vestimentaire et sanitaire. Certains sont placés en apprentissage auprès de maîtres artisans, avec à la clé des kits d’installation. Les enfants déscolarisés sont réinscrits pour reprendre leurs études », détaille Roland Ouattara.

Cependant, les obstacles restent nombreux. Certaines pratiques culturelles et la crise sécuritaire compliquent les interventions et ralentissent la réinsertion. Le directeur provincial appelle les familles et collectivités à s’impliquer davantage, notamment en identifiant les enfants, en dénonçant les abus et en inscrivant leur prise en charge dans les budgets locaux.

Un appel à la conscience collective

Ces enfants ont besoin de plus qu’un repas offert par compassion. Ils ont besoin d’un accompagnement psychosocial, de centres d’écoute, de familles soutenues et d’une volonté politique ferme pour sortir l’enfance de la rue. Quand un enfant dit : « Tantie, donne-moi à manger », ce n’est pas de la mendicité. C’est un cri. Un appel à la dignité. Un appel à une société plus humaine.Les droits des enfants ne se quémandent pas : ils s’appliquent, ils se garantissent. Et cela, de toute urgence.

Wono DA

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x