Longtemps formatés à parler et à écrire exclusivement en français, nombre de Burkinabè, bien qu’ils maîtrisent oralement leur langue maternelle, peinent à l’écrire. Certains l’ignorent totalement, par négligence ou par manque d’opportunité. Mais d’autres, plus conscients des enjeux identitaires, refusent d’être analphabètes dans leur propre langue. Professeur de philosophie au Lycée Scientifique Régional de Gaoua, Ambroise KAMBIRÉ a fait le choix courageux et inspirant de renouer avec ses racines en apprenant à lire et écrire le lobiri, sa langue maternelle. Une démarche aussi symbolique que puissante, dans un contexte où les langues nationales peinent encore à occuper une place centrale dans le système éducatif et dans l’affirmation de soi. Bafujiinfos.com est allé à sa rencontre sur son site d’apprentissage.
Assis sur un banc, au milieu d’une douzaine d’apprenants, Ambroise Kambiré prend les cours d’alphabétisation, le « Bantaré », écoutant rigoureusement les explications de son encadreuse. Interrogé tour à tour pour des exercices de lecture ou d’écriture, il se distingue par son application et sa soif d’apprendre. Malgré les intempéries, les conditions rudimentaires et un emploi du temps chargé, il répond présent. Un exemple d’humilité et de résilience, qui force le respect.
Refuser l’illettrisme dans sa je langue
« Connaître les B-A-BA du lobiri, c’est aujourd’hui ma priorité », confie-t-il. Pour lui, l’apprentissage de l’alphabet lobi n’est pas un simple exercice scolaire, mais un acte d’enracinement culturel. Cela lui permet de mieux comprendre et transmettre la richesse des traditions orales de son peuple. « Dans la traduction en langue lobi, nous sommes souvent confrontés à des difficultés terminologiques. Il est essentiel d’en maîtriser les fondements », explique-t-il.
Le chemin est exigeant. Ambroise débute par le « hinin sa mia » (lecture), avant d’aborder le « sa gnîrh » (écriture), puis le « gùuri » (calcul). Les cours, dispensés uniquement en lobiri, favorisent une immersion totale. « Comprendre une langue n’équivaut pas à savoir l’écrire », insiste-t-il. « On peut la parler couramment sans être capable de la transcrire correctement. »
Il note d’ailleurs que les principales difficultés résident dans les nombres, et notamment leur traduction lorsqu’il s’agit de montants d’argent : « Il y a parfois une confusion entre chiffre et valeur monétaire. La rigueur linguistique est différente de celle du français. »
Entre contraintes et détermination
Concilier sa fonction de professeur avec ses cours d’alphabétisation est un véritable défi. « Je ne suis pas toujours régulier, mais je m’accroche. Heureusement, les cours sont en soirée, entre 14h et 18h, ce qui me laisse une marge pour y assister, sauf les lundis. »
Malgré les contraintes, Ambroise se dit satisfait du climat d’apprentissage : « L’encadreuse est formidable. Elle nous guide avec patience. J’apprécie particulièrement l’ambiance qui règne ici. »
Une démarche exemplaire à méditer
Dans un pays aussi riche linguistiquement que le Burkina Faso, la valorisation des langues nationales reste un enjeu de souveraineté culturelle. Ambroise Kambiré lance un appel à tous : « Le départ de toute connaissance, c’est la connaissance de soi. Et cette connaissance commence par la maîtrise de notre langue, de notre culture. J’invite chaque Burkinabè à se réapproprier son identité linguistique. Cela renforcera nos valeurs et notre confiance collective. »
Ce retour à la source de ce philosophe de formation n’est pas anodin. Il témoigne d’un engagement profond pour la préservation et la transmission du patrimoine linguistique. Une initiative à saluer, à imiter, et surtout à soutenir.
Wonomana DA