C’est à 14 ans que Kpièrfité Jérôme Da est inscrit au CP1 à l’école centre A de Gaoua. Après avoir parcouru le cycle primaire et le premier cycle de l’enseignement secondaire, « Jérôme de l’or » comme il se fait appelé abandonne les études pour signer son entrée dans l’orpaillage Aujourd’hui,il dit ne pas regretter ce choix. Bafujiinfos.com est allé à la découverte de ce dernier qui raconte ses déboires, ses galères et sa vision pour la région.
Bafujiinfos : C’est à l’âge de 14ans que vous êtes allé à l’école. Pourquoi cela ?
Kpièfité Jérôme Da (KJD) : Je suis arrivé au Burkina Faso en 1998 à l’âge de 14 ans. Voyant les gens de mon âge école aller à l’école j’ai exigé que mes parents m’inscrivent à l’école. Ne sachant quoi faire mon père m’a envoyé chez mon grand frère à Gaoua pour les études. C’est à l’école centre A de Gaoua qu’on m’a inscrit. C’était compliqué au CP1 puisque j’étais le plus âgé. Le premier jour de notre venue, on nous appelait les garde-corps du directeur. Je fus premier de la classe et au CP2, le directeur a jugé bon de m’envoyer au CE2. J’ai continué jusqu’à obtenir le CEP. Et j’ai continué au lycée municipal. Après l’obtention du BEPC, j’ai eu une place en 2nde C au Lycée Bafuji. Il faut dire que suite au décès de mon géniteur, les études étaient devenues difficiles. Chaque vacance je rentrais en Côte d’Ivoire travailler pour venir honorer ma scolarité. Je quittais l’école à 12h pour confectionner les briques et à 14h 30 Je retournais en classe. A 17h je reprenais la fabrication des briques jusqu’à 19h. Je cultivais pour des gens. Je ramassais des cailloux sauvages, des graviers question de me faire de l’argent. Grâce à ces petits travaux j’ai pu construire ma première cour.
Bafujiinfos : Vous avez commencé à chercher l’argent alors que vous alliez à l’école. Qu’est ce qui explique cela ?
KJD : C’était pour assurer ma pitance quotidienne. Ce n’est pas parce qu’il n’y avait pas à manger chez le grand frère mais pas comme on le souhaitait. C’était difficile. Il faut dire qu’avec mon âge je voulais ressembler à certains de mes camarades dont leurs parents étaient nantis. Tout cela m’a conduit à rentrer dans le deal des téléphones et à plusieurs reprises on m’a convoqué à la gendarmerie. J’ai même fait 72h à la gendarmerie. Un enfant qui apprend à chercher l’argent comment peut-il étudier ?
En seconde, je ne supportais pas certaines choses au lycée. Le port de la tenue par exemple je trouvais ça contraignant. Je n’étais pas aussi régulier à l’école et entre temps j’ai abandonné pour aller dans les sites d’or.
Bafujiinfos : Racontez-nous vos débuts dans l’orpaillage ?
KJD : Il faut dire que je détestais les orpailleurs. Pour moi c’était des criminels. Au début ce n’était pas pour aller travailler. Je suis allé chercher de l’argent et revenir continuer mes études. Au site d’or je concassais les cailloux que les orpailleurs faisaient sortir des trous. Un sac coûtait 500 à 750frcs mais vous ne pouvez pas faire plus de 5sacs jours, tellement c’est difficile. Après j’ai eu un trou et j’ai confié à quelqu’un qui a travaillé et on a partagé le butin .En trois moi j’ai eu un peu d’argent et j’ai payé une moto. Lorsque je suis revenu, on m’a renvoyé et je suis allé au Thoungba pour la 1ère A. Mais avec le peu que j’ai eu je n’étais plus motivé. Au deuxième trimestre je suis reparti dans le site d’or et je ne suis plus revenu à l’école.
Bafujiinfos : Est-ce que vous regrettez d’être allé à l’orpaillage ?
KJD : Je ne regrette pas du tout. Ce que je veux aujourd’hui, je peux l’avoir. Grâce à l’or aujourd’hui j’ai ma propre maison et des cours dans la ville de Gaoua. Je ne parle pas des engins roulants comme les motos et les véhicules. Je n’envie personne.
Bafujiinfos : Votre déception ?
KJD : Les éboulements sont récurrents. J’ai voulu à un moment renoncer à cause des morts. Vous travaillez avec quelqu’un et après vous vous rendez compte qu’il est décédé suite à un éboulement. Mais avec le temps j’ai intégré dans ma tête comme tout orpailleur que lorsque vous descendez dans un trou c’est la vie ou la mort.
Bafujiinfos : Quel est votre secret ?
KJD : J’ai une jalousie que je dirai positive. Pour moi, lorsque je vois quelqu’un exceller, je me dis que je peux y arriver. Il y a des gens qui ne sont pas orpailleurs et ils ne font rien aussi dans la vie. J’ai comme l’impression que leur métier c’est demander. Des gens viennent réussir ici mais pourquoi pas nous ? Je me pose toujours cette question.
Au début lorsque je me rendais dans un maquis, Je faisais sentir ma présence. Non pas pour m’enorgueillir, mais c’était une façon de susciter une jalousie positive à l’endroit de mes frères. Malheureusement des gens ont interprété ça autrement.
La gestion compte aussi beaucoup. A chaque fois que je gagne l’or, je le divise en 03 parties. Une partie pour la distraction, la deuxième partie pour les problèmes et l’autre partie je l’oubli. Une confidence : Je n’ai jamais payé un véhicule du coup. Quand j’ai le désir d’acquérir un véhicule je commence à avancer au fur et à mesure à mon commerçant jusqu’à avoir la somme demandée. Cette année, il y a beaucoup de jeunes de la localité qui ont eu l’or. Mais attend dans quelques mois, beaucoup n’auront plus rien. Moi qui vous parle, mes mésaventures m’ont conseillé.
Bafujiinfos : Pourquoi le surnom Jérôme de l’or ?
KJD : C’est moi je me suis surnommé. Les gens disent que dans l’orpaillage c’est le maraboutage. Je ne suis jamais allé dans un site et ressortir bredouille. C’est la chance qui m’accompagne. Quand je rentre dans le trou de quelqu’un je gagne. Il y a des gens qui vont voir les marabouts moi je n’y suis jamais allé. La seule fois que je suis allé chez un féticheur, c’est lorsque je voulais abandonner l’orpaillage et revenir poursuivre les études. Et c’est un ami qui m’a conseillé d’y aller. Mais j’ai fait plus de 03 ans sans avoir ce que j’ai demandé.
Bafujiinfos : Quels sont vos projets aujourd’hui ?
KJD : Je compte ouvrir plusieurs magasins à Gaoua. Nos frères ne veulent pas travailler mais ils savent dépenser. Tu ouvres un magasin tu le confies à quelqu’un, si tu ne l’avais pas fait c’est mieux. A ouaga ou à Bobo les jeunes se battent. Mais les frères Birifor, Lobi, Dagara, Djan et autres ne fournissent pas d’effort.
Bafujiinfos : Quel message à l’endroit des jeunes
KJD : Je n’encourage personne à aller dans l’orpaillage. C’est un domaine quand tu y entres, c’est difficile d’en ressortir .Je prends un exemple, quelqu’un qui gagne beaucoup d’argent ne peut pas accepter rester bredouille. Quand vous rentrez vous devenez esclave. On peut réussir dans l’or mais c’est la gestion. Lorsqu’on gagne l’or et qu’on investit ça rapporte. Un orpailleur est toujours dans le rêve.
Bafujiinfos : Votre dernier mot
KJD : L’orpaillage n’a jamais été une mauvaise chose. Mais il faut être préparé. Le temps de souffrance et de succès sont opposés. La plupart des orpailleurs ne réfléchissent plus quand ils ont l’argent. Des gens veulent ressembler aux autres. Il y a des gens qui commencent et veulent aussi être comme ceux qui ont duré dedans. Si tu gagnes de l’argent dans l’or c’est de chercher à investir.
A mes frères déjà dans l’orpaillage je dirai de faire beaucoup attention. Je croise des anciens orpailleurs qui ont gagné des centaines de millions mais aujourd’hui leur vie est devenue misérable. Ils ne peuvent même pas avoir une moto pur se déplacer. Ils vendent leurs biens.
L’avenir de la région est sombre à cause de l’orpaillage. Les jeunes ne veulent plus travailler dans les champs. A ce jour il faut avoir les moyens pour travailler dans l’or. Autrefois à quelques mètres on pouvait avoir le métal précieux mais actuellement, il faut parcourir plusieurs mètres. Ceux qui ont la chance d’être à l’école, j’encourage ces derniers à se battre. Le problème quand tu es dernier et cela ne te dit rien tu resteras toujours à la queue. Mais quand on se révolte pour dire que l’autre n’a pas deux têtes, on réussit. Tout se passe dans la tête. Tous ceux qui ont des problèmes avec leurs parents, il est important de régler ça car la bénédiction vient d’eux.
J’ai tout entendu. Les gens ont dit que quand j’enceinte une fille c’est là que je gagne assez d’or. D’autres ont même dit que je suis braqueur. Il faut juste avoir des valeurs et des convictions. On avait voulu mettre en place une association des orpailleurs issus de la région afin de se conseiller ou amener ceux qui s’intéressent à l’or à s’organiser mais ça n’a pas aboutit.
Dalou Mathieu Da