À Gaoua, certaines histoires méritent d’être racontées, non pas parce qu’elles sont spectaculaires, mais parce qu’elles éclairent le quotidien par leur simplicité, leur dignité et leur courage. C’est le cas de Souleymane Guira, un homme à la double casquette : enseignant la semaine, cordonnier les week-ends. Un parcours qui incarne la résilience, l’audace et l’amour du travail bien fait. Une équipe de Bafujiinfos l’a rencontré à l’occasion de jeune miroir du sud-ouest

Les jours ouvrables, Souleymane Guira transmet le savoir aux élèves de l’école primaire d’Orkopouo-Gané. Les week-ends, jours fériés, congés et vacances, il devient artisan-cordonnier dans un petit atelier installé au bord d’une rue animée de Gaoua. La trentaine bien entamée, il exerce l’enseignement depuis sept ans, tout en poursuivant un métier appris aux côtés de son père.
« Je suis né trouver que mon père était déjà cordonnier. À force de le suivre, j’ai fini par aimer ce métier. J’ai donc décidé de marcher dans ses pas », explique-t-il, le marteau à la main, concentré sur sa tâche.
Ce choix n’est ni par défaut, ni par contrainte. Pour Guira, travailler de ses mains est un prolongement de son engagement éducatif : enseigner en classe, mais aussi par l’exemple. Il répare, fabrique et redonne vie aux chaussures avec précision, passion et fierté.
Un emploi du temps bien organisé
Guira concilie ses deux vies avec méthode et discipline. Il prépare ses cours en priorité, puis consacre du temps à la cordonnerie sans jamais compromettre la qualité de son enseignement.
« L’enseignement est un métier bien organisé. Grâce aux emplois du temps, je peux m’organiser. Si je termine mes préparations le samedi matin, je passe à l’atelier l’après-midi. Sinon, je consacre le samedi à l’école et je travaille le dimanche », confie-t-il.
Son engagement inspire le respect de plusieurs de ses collègues, comme Emmanuel Momo, instituteur et client fidèle : « Je l’admire. Il redonne vie à nos chaussures avec passion. Son courage nous motive à faire comme lui pendant les vacances. Si un jour j’ai la possibilité d’apprendre avec lui, je le ferai sans hésiter. »
Même enthousiasme du côté de Madame Palé née Coulibaly, fidèle cliente : « Ce qu’il fait est admirable. Beaucoup auraient abandonné ce métier après être devenus fonctionnaires. Lui, il a gardé ses racines. Je l’encourage à continuer. »
Quant à ses élèves, la surprise est souvent au rendez-vous : « Certains n’en reviennent pas quand ils me voient dans l’atelier, en train de coudre des chaussures », raconte-t-il en souriant.
Des défis matériels, mais une vision claire
Malgré son enthousiasme, Guira doit faire face à des défis. L’approvisionnement en matériel reste difficile : il doit se rendre à Bobo-Dioulasso ou Ouagadougou, ce qui augmente les coûts et freine son activité.
« Les clients trouvent nos prix élevés, mais ils ne savent pas que le matériel est cher et difficile à trouver. Parfois aussi, en revenant de l’école, je mets du temps à retrouver certaines chaussures déposées. »
Pour autant, il reste motivé et nourrit une ambition : ouvrir un atelier mieux équipé et former d’autres jeunes en quête d’un avenir.
« Beaucoup de jeunes attendent un emploi. Mais avec un peu de volonté et une formation, ils peuvent se prendre en main. J’aimerais créer un petit centre artisanal dans le quartier pour transmettre ce que je sais. »
Une leçon de dignité pour la jeunesse
Dans un contexte de chômage élevé et de désillusion, le parcours de Souleymane Guira résonne comme une leçon d’humilité et de courage. Il démontre qu’il est possible d’allier diplôme, travail manuel et dignité.
« À l’école, certains élèves n’ont pas le niveau. Il faut leur apprendre à faire quelque chose de concret avec leurs mains. Aucun métier n’est honteux s’il est exercé honnêtement. Moi, je suis fier de ce que je fais. »
Il lance un appel aux jeunes de Gaoua :« Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Il faut du courage et de la volonté. On peut réussir, même avec peu.»
Enfin, il plaide pour un accompagnement renforcé des jeunes entrepreneurs par les autorités et les partenaires : « Nous sommes nombreux à vouloir contribuer aux politiques du gouvernement. Il faut juste un petit coup de pouce pour aller plus loin ».
L’histoire de Souleymane Guira n’est pas une simple anecdote. Elle est un message fort adressé à toute une génération : retrousser les manches vaut mieux qu’attendre le miracle. Entre craies et lacets, il construit chaque jour un avenir fait de dignité, d’exemple et d’espérance.
Wonomana DA